Article N° 8032

MÉSUSAGES

Mésusage des médicaments et compléments alimentaires : un enjeu de santé publique en Afrique

Abderrahim DERRAJI - 16 février 2025 20:34
Le Salon Officine Expo, qui s’est tenu les 7 et 8 février à Marrakech, a accueilli une table ronde consacrée au problème du mésusage des médicaments et des compléments alimentaires en Afrique. Cette question constitue un enjeu majeur de santé publique qui s’explique essentiellement par l'automédication, l'utilisation de médicaments contrefaits et le non-respect des prescriptions médicales.
 
Les experts présents ont identifié plusieurs causes principales du mésusage des médicaments en Afrique. L'accès limité aux soins de santé oblige de nombreuses populations à se tourner vers l’automédication. Le faible revenu des populations et l’inaccessibilité aux consultations médicales et aux traitements favorisent l'achat de médicaments moins chers sur les marchés informels. Par ailleurs, le manque de sensibilisation et d’informations sur les risques associés à l’usage inapproprié des médicaments aggrave la situation. Enfin, la prolifération de médicaments falsifiés, due à des systèmes de régulation fragiles, constitue une menace supplémentaire pour la santé publique.
 
Certains types de médicaments sont particulièrement concernés par le mésusage. Les antibiotiques sont souvent pris sans prescription, favorisant le développement de résistances bactériennes. Les anti-paludiques, lorsqu'ils sont mal administrés, compromettent l'efficacité des traitements contre le paludisme. Les antirétroviraux, essentiels dans la lutte contre le VIH, deviennent inefficaces si les patients ne respectent pas scrupuleusement leur schéma thérapeutique. Les analgésiques et anti-inflammatoires, quant à eux, sont souvent surconsommés, entraînant des effets secondaires indésirables.
 
Dr Abderrahim Derraji, DHouda Sefiani , D Fatima Abouali, D Molka Elmoudir, D Prosper Hiag et DPierre Poitou
 
Le Dr Houda Sefiani, directrice du Centre antipoison et de pharma-covigilance du Maroc, a insisté sur l'importance de la pharmacovigilance, un dispositif essentiel pour surveiller l’utilisation des médicaments et des autres produits de santé. Elle a rappelé que plusieurs formes de mésusage existent : l’utilisation intentionnelle d’un médicament en dehors des recommandations médicales, les erreurs médicamenteuses involontaires lors de la prescription, de la dispensation ou de l’administration, ainsi que l’usage hors AMM (Autorisation de mise sur le marché).
 
 
 
Les données de la pharmacovigilance du Royaume indiquent que ces pratiques entraînent des effets indésirables significatifs. Le Centre antipoison et de pharmacovigilance du Maroc (CAPM) a notamment relevé plusieurs alertes graves, parmi lesquelles l’abus de corticoïdes hors 
indication autorisée causant des complications sérieuses, l’usage de compléments alimentaires contenant des substances actives provoquant des interactions médicamenteuses dangereuses, et des erreurs médicamenteuses dues à des confusions de posologie ou d’étiquetage. Avec plus de 6 572 cas notifiés au CAPM, il devient urgent de renforcer les stratégies de prévention et de surveillance. Sensibiliser les professionnels de santé et le public, tout en renforçant la régulation, constitue une priorité.
 
Le Dr Abouali Fatima, présidente de l'Agence marocaine antidopage (AMAD), a mis en lumière le problème du dopage au Maroc. Longtemps limité aux sportifs de haut niveau, ce phénomène s’est étendu aux amateurs. Les substances les plus consommées incluent les stéroïdes anabolisants, les hormones de croissance et divers stimulants, souvent obtenus via des circuits illégaux. Ces pratiques entraînent des risques majeurs tels que des complications cardiovasculaires, des troubles hépatiques et des effets psychologiques graves. Pour contrer cette menace, le Maroc a adopté une approche multidimensionnelle incluant un renforcement du cadre législatif, la mise en place de l’AMAD et des campagnes de sensibilisation visant à promouvoir une pratique sportive éthique. Malgré ces efforts, des défis persistent, notamment la prolifération du marché noir des substances dopantes et le manque d’information sur les risques liés à leur consommation.
 
Le Dr Molka Elmoudir, vice-présidente du Syndicat national des pharmaciens d’officine de Tunisie (SPOT), a présenté un état des lieux du mésusage dans son pays. L’automédication, l’usage excessif de compléments alimentaires et l’achat en ligne de produits non contrôlés constituent des menaces sanitaires importantes. Ces pratiques sont amplifiées par l’absence de réglementation stricte sur les compléments alimentaires et la multiplication des plateformes de vente illégales en ligne. Face à cette situation, cette pharmacienne titulaire à Tunis recommande de renforcer les campagnes de sensibilisation et d’encadrer la distribution des médicaments et compléments alimentaires.
 
Le Dr Prosper Hiag, vice-président de la Fédération Internationale Pharmaceutique (FIP), a, quant à lui, partagé les recommandations de son organisation pour limiter le mésusage des médicaments et compléments alimentaires. Ces recommandations incluent le renforcement des cadres réglementaires, le développement de plateformes de vente certifiées et la sensibilisation des patients et des professionnels de santé aux risques. Une étude mondiale de la FIP montre que 51 % des pays ne disposent pas de réglementation sur la vente en ligne de médicaments, favorisant ainsi la prolifération des marchés illégaux.
 
Le Dr Pierre Poitou, pharmacien, pharmacologue et membre de l’Académie nationale de pharmacie (France), a axé sa présentation sur le mésusage en Europe, continent où cette problématique constitue également un défi de taille pour la santé publique. La prise inappropriée de médicaments, l’automédication et les usages détournés touchent particulièrement certaines classes thérapeutiques, comme les psychotropes, les opioïdes et les antibiotiques. Ce phénomène entraîne des conséquences graves, avec 10 000 décès et 200 000 hospitalisations par an en France. Malgré une réglementation stricte encadrant la mise sur le marché, la distribution et la pharmacovigilance des médicaments, ces mesures restent insuffisantes. Une meilleure formation et information des professionnels et du public sont nécessaires, et les organismes professionnels ont un rôle clé à jouer. Quant aux compléments alimentaires, leur contrôle est moins strict, bien qu’un encadrement des allégations publicitaires existe.
 
Les représentants d’une dizaine de pays africains ont également brossé un tableau de la situation dans leur pays, où le mésusage des médicaments et des compléments alimentaires est une problématique complexe nécessitant une action concertée entre les gouvernements, les professionnels de santé et les citoyens. Une régulation stricte, une amélioration de l’accès aux soins et une sensibilisation accrue sont essentielles pour réduire les risques associés à ces pratiques et garantir un usage plus sécurisé des produits de santé.

Source : PharmaNEWS